Chili – Croisière dans les eaux australes

Après notre petite aventure sur l’île de Chiloé, nous enchaînons directement sur une autre que nous attendions avec impatience : nous nous rendons à Quellón en bus, tout au sud de l’île pour embarquer à bord du Queulat, un grand traversier de la compagnie Naviera Austral. Il doit nous permettre d’atteindre Puerto Chacabuco à environ 700 km de là en 30h, toujours un peu plus au sud.

La traversée s’annonce épique ! En effet, à partir de ce point, nous quittons le gros morceau du continent chilien et sud-américain pour parvenir à cette partie du monde qui n’est plus que côtes qui s’effilochent en petits confettis : minuscules îles inhabitées et grands fjords sauvages. Nous nous sentons plus que jamais au bout du monde !

Nous sommes partis le 15 septembre 2018 pour un voyage d’un an et demi en Amérique du Sud, Océanie et Asie du Sud Est ! Voici notre récit au Chili. Pour lire le début des aventures, c’est ici.

A savoir qu’il existe bien d’autres « croisières » de ce type pour traverser les eaux australes du Chili. Nous avons choisi une des plus plus courtes, mais il est possible d’aller jusqu’à Puerto Natales, ou Punta Arenas en 4 jours de navigation avec couchette, repas, etc. Par contre, il faut pouvoir se le permettre car le prix est assez impressionnant (de l’ordre de 400 $). Pour faire plus court et moins cher, on peut aussi rejoindre d’autres ports moins au sud comme Tortel.

De notre côté, nous avons opté pour le trajet Quellón – Puerto Chacabuco, suffisamment long pour naviguer au milieu des fjords magnifiques de cette partie du monde et pour rejoindre le morceau de la Carretera Austral qui nous intéressait, mais suffisamment court pour qu’une telle aventure nous soit abordable (45 000 pesos, soit 36€).

◊ Embarquement pour une croisière australe

Notre bateau devant partir à 1h du matin de Quellón. Nous débarquons au port par le dernier bus entre Puerto Montt et Quellón à 23h alors qu’une petite file de gens s’est déjà formée devant le quai. Le Queulat n’est pas encore là et nous avons le temps d’attraper un completo (c’est-à-dire un hot-dog avec de l’avocat, spécialité du Chili) à un vendeur de rue avant de retourner au quai. Il fait plutôt froid cette nuit-là, au bord de la mer et chacun tente de se réchauffer comme il peut en sautillant sur place. Tandis qu’il y a une heure de cela, nous nous endormions complètement dans notre bus, nous sommes désormais pleinement réveillés, impatients à l’idée de s’embarquer pour cette traversée. Eh oui, c’est la première fois pour tous les deux que nous allons passer 30h sur un navire et en plus dans cette partie du monde et cela nous émerveille complètement ! En même temps, nous redoutons un peu le mal de mer et nous nous posons plein de questions sur les conditions du transport.

Vers minuit, nous voyons au loin les lumières ultra-brillantes de notre navire approcher lentement : le Queulat, un traversier, un bus gigantesque en fait, mais dans l’eau ! A quai, nous voyons une petite file de voitures en sortir et retrouver la terre ferme. Puis, ce sont des dizaines de piétons, backpackers comme nous avec leurs gros sacs recouverts de housses fluo contre la pluie, marchant de ce pas vif et décidé que donne une arrivée à 1h du matin dans une ville inconnue avec toutes ses affaires sur son dos. De loin, leurs silhouettes sont incongrues, déformées, par leurs lourds bagages. Quelques courageux voyageant en vélo les dépassent et disparaissent dans la nuit.

Puis, c’est à nous d’y aller après une autre petite heure d’attente. Nous traversons le quai et posons le pied sur ce qui sera notre maison pendant les 30 prochaines heures. Nous abandonnons nos sacs dans la soute du rez-de-chaussé, comme dans les avions, et nous montons retrouver nos places. Dans une seule grande pièce, s’alignent près de 300 fauteuils inclinables faisant face à plusieurs écrans de télévisions diffusant des films toute la journée.

Derrière, une petite cafétéria avec quelques jeux pour enfants et de quoi manger un sandwich ou boire un café devant un autre écran de télévision, et puis c’est à peu près tout. Certaines personnes ont déjà posé leur matelas personnel dans un coin pour rechercher un peu plus de confort.

Nous installons rapidement nos affaires sur notre lignée de 5 fauteuils que nous partagerons avec une chilienne et ses 2 jeunes enfants (qui d’ailleurs sont restés incroyablement calmes et sages pendant tout le trajet !) et nous partons faire un tour sur le pont. Seuls quelques courageux bravent la fraicheur nocturne pour découvrir ce nouvel environnement et porter ses yeux loin, loin devant, par delà le port, par delà les flots noirs qui nous entourent.

Évidemment la nuit noire ça ne rend pas très bien en photo, donc voici une photo de l’aube !

Le traversier ne semblant pas vouloir partir tout de suite, nous retournons nous installer à l’intérieur où le sommeil commence à nous gagner. Les lumières s’éteignent et nous finissons par renoncer à rester éveillé jusqu’au départ et nous endormir, nous promettant que nous nous lèverons dès que les moteurs se mettront en route. Les télévisions se taisent et peu à peu, c’est un autre ballet sonore qui démarre : non pas celui des lions de mer de la baie ou des cygnes à col noir mais celui des dizaines de ronfleurs qui ponctuent chacun sur leur propre souffle cette longue nuit noire (heureusement nous avions nos boules quiès). Nous ouvrons un œil de temps en temps mais le bateau ne semble décidément pas avoir bougé d’un poil.

L’attente commence…

Cela parait bizarre, le matin se lève et il semble que nous soyons toujours au port alors que nous devrions déjà être en pleine mer. Enfin, vers 6h du matin, une annonce nous indique qu’une machine a pris feu hier soir dans la salle des machines, et si l’incident a été rapidement maitrisé cela a forcé le Queulat à rester à quai. Il ne devrait être en mesure de repartir qu’entre 10h du matin et midi. Gros soupir d’exaspération de passagers, tandis que je referme mon œil entrouvert et me rendors.

Un peu plus tard, nous profitons de l’incroyable lumière matinale de cette partie du monde qui illumine doucement les maisons en bois nous faisant face, de l’autre côté du quai, ainsi que les quelques bateaux de pêche colorés.

A midi, on nous annonce que l’on devrait pouvoir repartir vers 15h. Bon cela semble se préciser ! L’attente est plutôt facile, tout le monde dans le bateau semble prendre les choses avec philosophie, un petit déjeuner et un repas de midi nous sont offerts. Nous lisons, nous en profitons pour se mettre à jour dans nos articles, nous dormons, nous essayons de comprendre les films en espagnols sur les écrans et nous ne manquons pas de sortir régulièrement sur le pont pour profiter encore et encore de la vue incroyable de Quellón et de la mer.

A 15h, nous nous lançons dans un film. A 16h, rien. A 17h, rien, à 18h, rien… Nous voyons de plus en plus de monde sortir du bateau, se promener en ville… Nous demandons : apparemment, nous ne repartirons pas d’ici 19h30. Bon, ça aurait été bien de le savoir avant mais nous saisissons quand même avec bonheur la possibilité d’aller nous promener à Quellón ! Nous allons prendre un grand bol d’air frais, profitant de la lumière couchante dans les petits parcs avec une attention nouvelle. Nous ne quittons pas le bateau des yeux de peur qu’il ne reparte sans nous, mais en même temps, nous n’avons aucune envie d’y retourner pour continuer à être assis, prolongeant notre balade autant que possible sans trop avoir d’endroit où aller, si ce n’est flâner dans un des plus beaux endroit du monde tout simplement.

L’énervement monte

Finalement, nous rentrons poursuivre notre attente, sans plus d’information, le bateau n’ayant pas l’air d’être plus pressé à partir. Le bruit court que le bateau est en fait pleinement réparé et en état de repartir depuis le matin mais que l’équipage attend de recevoir le papier de confirmation de l’administration chilienne pour être autorisé à repartir.

Et puis, à 21h (donc après 21h d’attente si vous suivez bien !), un Chilien sortant de nulle part harangue la foule, sortant de leur somnolence  toutes les personnes à moitié endormie attendant dans les fauteuils du bateau et lance une révolte en bonne et due forme ! Et d’un coup, une onde d’attention parcours les passagers alors beaucoup plus attentifs. Une foule en colère se forme à l’avant du bateau, criant des slogans à l’équipage : « Vous croyez que vous pouvez nous achetez avec des repas gratuits ? », « on ne nous donne pas d’informations ! », « Nous n’avons que 2 semaines de vacances par an et vous nous en gâchez 2 jours ! », « Amenez-nous le capitaine ! ». La moitié des personnes du bateau se dirige d’un pas décidé vers les bureaux de Naviera Austral sur le quai dans l’idée de faire du bruit et d’occuper les lieux jusqu’à ce que le bateau parte. Bon, dans l’idée, je n’étais pas forcément pour car ce n’était pas vraiment la faute de la compagnie qui attendait simplement son papier pour repartir… mais au moins nous découvrons que les Chiliens ont un stock de patience de 21h (à comparer avec nous autres Français qui tiendraient 15 minutes avant de mettre le bateau a feu et a sang !).

Sauf que magiquement, 1h après, le bateau obtenait son autorisation, levait l’ancre tout aussi rapidement sous les yeux scrutateurs de quelques militaires du port et entamait cette longue traversée de 30h. Sur le pont, une vingtaine de personnes (nous comprises) s’étaient précipitées dehors, sifflant, huant de joie, pour voir le quai de Quellón s’éloigner lentement dans la nuit. Nous avons dormi comme des bébés sur nos sièges inclinables tandis que le ballet des ronflement reprenait un peu plus joyeusement que la première fois.

Et c’est parti !

8h, le soleil est timidement levé, la lumière dans la pièce principale du bateau est encore éteinte et la plupart des passagers dorment encore. Je me lève en faisant le moins de bruit possible, j’enjambe Clément qui s’est rendormi après avoir passé 2h dans le froid pour saisir les lumières de l’aube, je me couvre, doudoune, bonnet et écharpe jusqu’au nez et je traverse la petite cafeteria où quelques lève-tôt ou couche-très-tard peinent à garder les yeux ouverts et sors sur le pont. Le vent frais me saisit aussitôt, mais la seule à laquelle je prête attention est la lumière du matin qui se reflète dans l’océan. Nous avons quitté les ports, les villes et nous naviguons sur une eau calme au milieu des petites iles basses piquées de forêts sauvages. C’est assez incroyable de se réveiller en pleine mer ! Quelques autres passagers admirent ce spectacle avec moi, personne ne dit rien et pourtant j’ai l’impression que tout le monde sait ce que chacun ressent. Il n’y a nul besoin de faire de longues phrases, simplement à ouvrir ses yeux et profiter de ce petit cadeau du matin.

Traversée dans les eaux australes

Le bateau se réveille petit à petit, le mouvement reprend. Vers 11h, un grand soleil perce la brume matinale et s’installe dans le ciel bleu. Nous migrons sur le pont pour nous installer sur les sièges en plastique qui font face à l’arrière du bateau. Et nous sommes restés là pendant des heures, toute l’après-midi, jusqu’à ce que le soleil se couche et que le froid revienne. Pendant des heures, nous ne nous sommes pas lassés de détailler ces iles toutes vertes et sauvages et puis au loin, brillantes dans le soleil, des grandes et puissantes montagnes recouvertes de neige ou de glaciers qui défilaient lentement au rythme du Queulat. Au soleil, à lire un livre, le regard porté de temps en temps au loin, ce fut un moment parfait ! D’ailleurs, finalement le mal de mer n’aura jamais été un problème !

Un énorme glacier bleu électrique se jette dans le fjord au loin

Vers midi, Christophe, un français en voyage depuis 8 mois, est apparu sur le pont avec son violon. Il se fait filmer en train de jouer dans chaque pays qu’il traverse et pendant quelques minutes, il rassemble un petit groupe de passagers qui l’écoute avec plaisir. Et magiquement,  les conversations se nouent et les passagers individuels ne forment plus qu’un petit groupe qui discute de tout et de rien, l’air fatigué mais surtout émerveillés par cette traversée.

Nous faisons quelques petites escales, et découvrons de minuscules villages de maisons de bois toutes colorées accrochées sur des îles complètement isolées et sauvages. Ces villages ne sont desservis et ravitaillés que par les traversiers qui font le trajet 2 fois par semaine. Il est fascinant d’imaginer quel rapport au temps et à la distance ont ces gens que nous voyons sortir du bateau avec quelques ballots sous le bras pour rejoindre leurs petites cahuttes. Cela nous fait beaucoup réfléchir à l’immédiateté forcenée de nos sociétés ultra connectées, face a un mode de vie plus simple et apaisé.

Un supermarché du bout du bout du monde

Au milieu de l’après-midi, je vois un couple de norvégien scruter un point loin à l’horizon avec leur jumelles. Ils semblent particulièrement impressionnés, que se passe-t-il ? Oh mais oui !! Nous voyons se détacher, très loin à l’horizon de grands jets d’eau. Il s’agit de baleines qui nous font un petit coucou au passage ! Impossible de prendre des photos vous imaginez bien, alors nous profitons simplement de ce spectacle que la nature nous offre.

Le Queulat continue a faire quelques très courts arrêts le long de minuscules villages côtiers. Nous nous ralentissons aussi près d’une île isolée ou se dresse une unique cabane en bois, d’où pars une petite barque dirigée par un homme : il s’agit d’un petit groupe de bûcherons venant exploiter le bois l’été. La barque se colle au bateau, récupère un ballot de nourriture jeté par l’équipage, et c’est reparti pour quelques semaines !

Pouvez-vous imaginer la vie de ces quelques hommes, isolés pendant des mois sur cette île déserte !

Le soir ne semble jamais vouloir arriver et nous repoussons toujours de plus en plus la nécessité de quitter notre siège maintenant glacial pour rejoindre le confort chaleureux de la cafeteria. Un dernier regard à l’horizon et… mais qu’est-ce que c’est ? Des petits ailerons, là, au bord de l’île voisine… mais oui, ce sont des dauphins !! Ils jouent et sautent hors de l’eau au loin mais certains se rapprochent pour jouer avec les remous provoqués par notre bateau. Pas de photos de l’évènement, nous étions trop occupés à en profiter !

Nous rejoignons finalement l’intérieur du bateau, nous régalons d’une soupe (la nourriture du bateau est relativement chère, nous sommes venus avec toutes nos provisions et avons simplement demandé de l’eau chaude) et retournons nous poser pour quelques heures encore dans nos fauteuils.

Du camping au plein milieu de la ville

Finalement, et à notre plus grand regret (malgré nos 50h de bateau !), nous débarquons vers 1h du matin à Puerto Chacabuco. Comme à l’aller, ce sont les voitures qui descendent en premier avant que nous ne soyons autorisés à en faire de même. Le problème désormais est que nous n’avons absolument aucune idée de où aller ! Nous pensions arrivés plus tôt dans la soirée et nous rendre à Coyhaique où un hébergement nous attendait, Puerto Chacabuco n’était rien de plus que quelques baraques perdues autour du port. Sauf que là à 1h du matin, nous n’avons plus vraiment de solution… Une navette nous attends cependant et nous conduit en 2h au centre de Coyhaique. Très bien, sauf que le problème est le même, il est 3h du matin et nous n’avons aucun hébergement. Avec Julia (italienne) et Shaun (américain) rencontrés sur le bateau, nous tentons de faire le tour de la ville, frappant aux portes des quelques auberges que nous croisons pour leur demander le gîte.

Mais toutes sont fermées et ne rouvrirons qu’au petit matin. Les rues sont vides, pas un chat ne passe et la situation nous fait plus rire qu’elle ne nous agace, peut-être parce que nous ne sommes pas tout seul ! Nous songeons pendant un temps à trainer en ville en attendant leur réouverture mais devant un bar, un chilien nous apprends qu’il existe un petit emplacement de camping sauvage, bien connu et souvent occupé par des voyageurs comme nous, près d’une rivière. Nous suivons ses indications et finissons effectivement par tomber sur un petit coin d’herbe protégé, calme où il semblerai que nous ne dérangerons personne. Très bien ! Il est 4h du matin et nous déballons notre tente aux côtés de celle de Shaun, et nous nous couchons bien vite sans trop savoir où nous sommes exactement.

Le soleil se lève et nous sortons timidement la tête de notre tente… ooh !! Nous découvrons que nous avons en fait dormi au sommet d’une immense vallée magnifique parcourue par un cours d’eau, recouverte de forêts et entourée par une grande chaine de montagne enneigée qui nous regarde de haut. Décidément notre « mésaventure » devient une des choses les plus sympa de ce voyage !

Nous voilà officiellement en Patagonie, une nouvelle page de notre voiture s’ouvre à nous !

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Bonne route !

6 réponses sur “Chili – Croisière dans les eaux australes”

  1. Quelle histoire! Vous vous en souviendrez un moment de votre arrivée en Pentagonie. En tout cas vous me faites rêver ❤

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    1. Effectivement !! Au final, j’adore ce genre d’aventure qui peuvent être vu comme de la malchance mais qui pour moi sont plutôt du piquant à notre voyage !

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  2. Sacrée aventure pleine de rebondissements! La Patagonie est sans nul doute un pays extraordinaire et votre récit de la traversée, même après une longue attente, donne envie de la faire, merci pour le partage.

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