Cet article est un peu long, mais il y a tellement de choses incroyables à découvrir sur les civilisations précolombiennes que je n’ai pas finit de vous en parler ! On ne connait au final quasiment rien de l’histoire riche et complexe de l’Amérique du sud, éclipsée totalement par la « conquête » Espagnole qui n’a que vaguement relatée l’histoire des Incas sans même se rendre compte que des dizaines de civilisations et peuplades aux histoires riches et complexes se sont succédées sur ce continent pendant plus de 16 000 ans.
Nous sommes partis le 15 septembre 2018 pour un voyage d’un an et demi en Amérique du Sud, Océanie et Asie du Sud Est ! Voici notre récit en Équateur. Pour lire le début des aventures, c’est ici.
Des petites choses comme le Machu Picchu ne sont que la partie émergée de l’iceberg, et plus de 1000 ans avant sa construction des civilisations extrêmement avancées créaient des monuments impressionnants et laissaient derrière eux des objets magnifiques, ainsi qu’une culture riche qui imprègne encore aujourd’hui leur descendants.
Il suffit de regarder le street-art des rues d’Équateur et du Pérou qui s’inspire largement de l’esthétique des civilisations pré-colombiennes
Et si on connait sur le bout des doigts l’antiquité et le « moyen-age » Européen (je déteste cette expression…), on est très loin de connaitre aussi bien l’histoire de l’Amérique du sud faute de fouilles, de recherches et surtout de financements… En effet les 3 sites dont je parle aujourd’hui sont à peine fouillés et peinent à rester protégés contre les intempéries et les pillards fautes de financement, malgré leur importance. Donc allez les visitez si vous passez dans le coin, et dites vous que le prix du billet est utile !
Voila toute les protections dont disposent certains sites, des panneaux faits-main et des buissons épineux aux pieds des murs…
Je vous parle donc aujourd’hui des sites les plus importants des civilisation Moche et Chimu (ça se prononce Mau-tché et Tchi-mou pour ceux qui rigolent dans le fond…).
◊ El huaca de la luna
El huaca de la Luna, qui peut se traduire par « le temple de la lune », est l’une des plus importante construction religieuse précolombienne d’Amérique du sud qui à été préservée. Situé en bordure de la vallée autrefois fertile qui abritait la ville principale et les cultures agricoles de la civilisation Moche, c’était le principale centre de pouvoir religieux de toute leur civilisation (l’équivalent de leur Vatican).
Le temple au pied d’une énorme montagne dominant la plaine, qui était sacrée pour les Moches
La civilisation Moche, qui a dominé une grande partie de la côte pacifique du Pérou à partir de 100 ap.J.C. , était dominée par un clergé extrêmement puissant, qui puisait dans une iconographie riche et s’appuyait sur une classe d’artisans particulièrement talentueux pour produire des édifices religieux stupéfiants.
Le temple est construit en brique de terre crue, et chaque famille d’artisans apportait son lot de travail et laissait sa « signature » sur les briques
Un smiley datant de plus de 1600 ans !!!
Les Moches sont les seuls peuples d’Amérique du sud à avoir produit des portraits, une aide précieuse pour les archéologues et les anthropologues
La qualité de leurs céramiques, conservant encore leurs couleurs aujourd’hui, est prodigieuse
Le « temple de la lune » n’a en vérité absolument rien à voir avec la lune, mais est dédié à la divinité majeure des Moches : le Dieu Ai-Apaec. Ce nom vient des espagnols qui en débarquant ne comprenaient rien aux cultures qu’ils rencontraient (et ne cherchaient pas à comprendre quoi que ce soit à part où était caché l’or !), et pensaient que toutes les constructions étaient Inca ; et comme les Incas vénéraient le Soleil et la Lune les conquistadors ont estampillé le moindre bout de caillou de « temple du soleil ou de la lune ».
Le temple au pied de la montagne sacrée, vu de l’ancienne capitale des Moche (aujourd’hui retournée à la poussière)
L’intérieur du temple et ses millions de briques de terre crue
En réalité ce temple était le lieu d’un rituel de sacrifice complexe et très codifié, destiné à calmer la colère du dieu Ai-Apaec lors des catastrophes naturelles : séismes, sècheresse, ou phénomènes El Nino.
La roche sacrificielle où étaient précipités les cadavres des sacrifiés
Les zones rituelles où étaient préparés les sacrifices
Les meilleurs guerriers Moches issus de la noblesse, parés de leurs plus beaux atours, luttaient avec des massues de bois au sommet du temple afin de faire tomber… le chapeau de leur adversaire ! Cela peut sembler ridicule mais le perdant était ensuite dévêtu, enchainé et amené devant le grand prêtre qui le décapitait en l’honneur de Ai-Apaec, surnommé le dieu décapitateur !
Une céramique représentant Ai-Apaec décapitant un guerrier vaincu
Le dieu Ai-Apaec, il avait de multiples représentations mais toutes étaient aussi sympas !
Le sang était ensuite présenté à la foule qui s’amassait sur la grande place du temple, face aux immenses frises représentant le dieu décapitateur sous toutes ses formes.
L’autel du grand-prêtre qui présentait le sang à la foule (le mur à gauche n’existait pas à l’époque, l’autel donnait directement sur une grande-place en contrebas)
Un couteau sacrificiel et la coupe de sang qui était présentée à la foule
La grande-place, où la foule s’amassait pour voir le grand prêtre tout en haut a gauche présenter le sang des sacrifiés
En gros ça donnait cela à l’époque, avec les zones rituelles où étaient réalisées les étapes du sacrifice au sommet du temple et la grande-place accessible au peuple en contrebas
Il est assez remarquable de constater que la civilisation Moche avait ainsi trouvé le moyen en période de famine de se débarrasser d’une partie de sa noblesse, soient les personnes les plus consommatrices en ressources.
Les guerriers qui partent joyeusement au sacrifice !
Le temple en lui-même a commencé à être construit au tout début de l’ère Moche, vers l’an 100, avec un premier niveau en briques de terre cuite, puis a été reconstruit plus imposant au moins 5 fois, en comblant les anciens niveaux et en reconstruisant cette forme de pyramide à degrés intégralement ornementée de sculptures aux couleurs vives (voire pétantes !). Le temple que l’on peut voir aujourd’hui est le numéro 5, et des dizaines d’ornementation des temps plus anciens restent aujourd’hui invisibles sous les remblais successifs, en ne peuvent être découvert qu’en détruisant le temple supérieur.
Les archéologues ont dégagés quelques frises du temple n°4 en contrebas, cachés sous des briques lors de la construction du temple n°5
Le gros trou central à été fait par des pillards qui ont pris tout ce qui brillait. Il a permis aux archéologues d’avoir une vue en coupe du temple et de découvrir sa structure en oignon !
Les ensevelissements volontaires ou naturels du temple et le climat très sec de la région, après la disparition du cours d’eau qui irriguait la vallée, ont admirablement préservé les sculptures décorant le temple, en particulier leurs couleurs ! Et oui comme je l’ai déjà dit dans cet article, malgré que leur vestiges nous soient souvent parvenus décolorés, les anciens peuples adoraient la couleur. Les sculptures du temple sont donc recouvertes de pigments rouge vif et jaune éclatant, ou plus étonnant de bleu pétant !
Les sculptures représentent les différents niveaux de la société Moche, avec au plus bas les esclaves et prisonniers de guerre, puis les artisans, les guerriers, le clergé, etc. Mais il y a aussi des représentations de Ai-Apaec, le dieu décapitateur, sous différente formes, notamment celle d’une monstrueuse araignée tenant toujours dans sa main droite un couteau sacrificiel.
Un gars sympa ce Ai-Apaec, tantôt gorgone, poulpe monstrueux ou araignée géante !
Des décorations très « art contemporain » colorées en rouge, jaune et bleue
Ai-Apaec, ses 16 pattes, ses 4 yeux, tenant un couteau sacrificiel, crachant des serpents et agitant les tentacules de son derrières… Un chic type !
Il faut imaginer l’effet que pouvait avoir les grandes cérémonies religieuses sur le peuple qui se rassemblait sur la grande place au pied du temple, face à ce mur immense de sculptures aux couleurs vives au sommet duquel le grand prêtre apparaissait recouvert de bijoux en or scintillants au soleil et sous le rythme des instruments de musique. Dans un univers où l’homme du temple ne connaissait que la couleur de la terre et des plantes, le bruit du vent et de la pluie et la brillance du soleil sur la mer, ce devait être un spectacle absolument extraordinaire !
Une reconstitution de la splendeur du temple à son apogée
Ces sculptures au pied du temple sont particulièrement mystérieuses pour les archéologues, car elles diffèrent énormément de tout ce qui a été trouvé sur place et semble être un joyeux foutoir de symboles anarchiquement représentés. Certains y voit un panneau prophétique de l’arrivée des Espagnol 700 ans plus tard, d’autres une cosmogonie… à vous de juger !
Ce système de sacrifices fonctionnait très bien jusqu’à un phénomène El Nino particulièrement violent apparu aux alentours de l’an 600. Cette fois ci malgré de très nombreux sacrifices dont les archéologues ont retrouvé les traces, une crise écologique va mener la société Moche vers la famine. Les prêtres et leurs sacrifices ayant été incapables de calmer la colère des dieux, le peuple se soulève contre le pouvoir religieux et le temple de la lune est abandonné.
Le peuple n’est pas content !
C’est le pouvoir séculier (non-religieux) qui reprendra les rênes de cette civilisation en crise, et le dit « Huaca del sol » ou « temple du soleil » , en réalité un palais royal et administratif, va se développer pour devenir cette immense construction que l’on aperçoit au loin dans la plaine.
Derrière les vestiges de la capitale Moche, le « temple du soleil » émerge du désert
◊ El Huaca del sol
Nous n’avons que peu d’idée de ce que renferme cette mystérieuse et démesurée pyramide de terre, aucune mission de fouille d’envergure n’ayant pu être lancée faute de financement. On sait seulement que des pillards espagnols sont allés jusqu’à détourner un fleuve pour essayer de saper ses murs impénétrables afin de voler ses richesses.
Comme le temple de la lune, cette immense pyramide est constituée de millions de briques de terre qui s’érodent lentement
C’est complètement fou de penser aux trésors archéologiques que renferme cette immense construction, qui n’est pourtant pas cachée dans des contrées reculées mais simplement au bord de la route, et qui ne seront peut-être pas découvertes avant des décennies.
Néanmoins les nobles siégeant au Huaca del Sol ne seront pas plus efficaces que le clergé pour résoudre les problèmes causé par cet El Nino particulièrement puissant, et la civilisation Moche s’effondrera définitivement après avoir finie d’être saignée pendant une centaine d’année par la construction de cet immense édifice.
Une reconstitution de la capitale Moche et du temple du soleil, vue du temple de la lune
Le site de fouille des maisons populaires aujourd’hui
Aux alentours de l’an 1000 ap.J.C. une partie du peuple ira s’installer plus au nord, dans une région épargnée par l’ampleur du phénomène météorologique, et riche d’une nappe phréatique importante. Ils vont créer une nouvelle civilisation basée sur l’exploitation des produits de la mer toute proche et une agriculture irriguée par les nombreux puits creusés dans cette plaine, et la ville qui va développer porte aujourd’hui le nom de Chan-Chan.
◊ Chan-Chan
Dans cette plaine rendue fertile une nouvelle civilisation qui prendra la nom de Chimu va se développer, dirigée par une noblesse qui s’est mis à se faire construire des immenses palais (pour changer…). Pendant presque 500 ans les rois Chimu ont conquis toute la côte, ont développé une dynastie puissante et se sont fait construire une dizaine de palais gigantesques en brique de terre (en effet à la mort du roi, le suivant ne pouvait absolument pas vivre dans le vieux palais, il en fallait un nouveau !).
La plaine de Chan-Chan et ses hectares de vestiges attendant d’être fouillés
Des immenses temples se dressent au loin, qui sait quels trésors ils renferment ?
Les palais étaient entourés de murs cyclopéen, intégralement en briques de terre crue
Des murs de plus de 10m de haut pour se protéger des ennemis… et du peuple ?
Chaque palais disposait d’un énorme bassin central
La nouveauté par rapport à la culture Moche est d’avoir une société ou clergé et noblesse sont étroitement mêlés, les palais mêlant habitation royale, nécropole et temple. Ils étaient en partie ouverts au public pour les cérémonies religieuses et les offrandes faites par les fidèles. Et vue les quantités formidables de silos de stockages d’offrandes on se doute que la noblesse locale vivait pas trop mal…
La grande place cérémonielle ou le peuple se rassemblait lors des fête religieuses
La zone religieuse du palais ou se préparait les cérémonies et était stockées les offrandes
D’autres silos de stockage, il fallait bien nourrir ces pauvres nobles !
L’autre grande différence est le retour à des ornementations, sculptures et peintures beaucoup plus « simples », et principalement liées aux activités de pêche, d’agriculture et d’artisanat. On peut imaginer qu’après la débauche religieuse de la culture Moche, la civilisation Chimu qui s’est établie sur ses cendres est revenue à quelques choses de plus ancrée dans le réel. Les Chimu sont d’ailleurs particulièrement réputés pour leur artisanat de haute qualité et la cité de Chan-Chan abritait plusieurs milliers d’artisans potiers, métallurgistes, charpentier, sculpteurs, peintres, architectes, etc.
Une frise représentant la mer, ses poissons et ses pélicans, première ressources pour les Chimu
Les pélicans étaient dressés à ramener du poissons aux pécheurs Chimu, d’où sa présence un peu partout
Les Chimu ont inventé le pixel-art !
Les couronnes des rois Chimu, présentées au musée Larco de Lima, nous donnent une idée de la richesse et de la puissance de cette civilisation, qui fut finalement absorbée par les Incas aux alentours des années 1470, soit a peine 50 ans avant que les conquistadors débarquent pour répandre la joie et la bonne humeur sur le continent…
Le bavoir géant en or massif, top de la classe Chimu !
Le pendentif de nez géant en argent massif était aussi très à la mode
En visitant ces sites on peut prendre l’ampleur des civilisations qui se sont succédées et ont su faire fructifier à force d’ingéniosité cet aride désert de la côte pacifique pendant près de 1500 ans !
Un étendard Chimu en plume de perroquets, datant de plus de 700 ans !
La capacité de ces peuples à dompter leur environnement et à réussir à dégager suffisamment d’excédents de nourriture pour soutenir le développement d’une société hautement complexe et hiérarchisée, d’un artisanat particulièrement talentueux et d’une culture riche et profonde est proprement stupéfiante.
A bientôt pour de nouvelles merveilles !
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C’est incroyable de pouvoir se plonger dans le passé d’une civilisation, merci de partager tout cela avec nous ! Et le street art en début de post j’adore 😀 des bisous!
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